S'installant sur son canapé en cuir, il regarda de manière distante la dernière page des papiers du divorce. Celle sur laquelle il était censé signer, sinon il devrait demander à la justice de s'en charger. Jack regarda sa montre par réflexe. Il la regardait toujours, même quand il n'attendait rien ou qu'il n'avait rien à faire. C'était devenu quelque chose d'aussi essentiel que respirer ou manger. C'était son père qui était obsédé par le temps. Les montres de la maison étaient d'une précision chirurgicale. Il n'y avait pas un seul Sander de toute la maisonnée qui se serait permit d'être en retard. Le fait était que le grand-père Sander n'était pas un tendre et n'avait jamais particulièrement affiché de tendresse envers sa progéniture. La mère Sander même, était trop occupée pour faire autre chose que les tâches de base qui comprenaient les repas, les bains, guérir les bobos et préparer tout le monde pour leur journée d'école ou de travail. L'un comme l'autre moururent relativement tôt. Le vieux succomba à un cancer non-soigné de l'estomac et la vieille attrapa un Parkinson précoce. Jack ne s'était jamais particulièrement bien entendu avec sa famille en règle générale et jamais il ne s'était jamais sentit proche de quiconque. L'attitude millimétrée et impeccable que son père lui avait transmit était quelque chose d'assez confortable. Une armure en titane qui ne se fissurait jamais, mais qui, en contre partie, ne laissait pas grand chose passer, ni les sentiments, ni les répits.

Très vite, Jack se rendit compte qu'il n'était pas particulièrement bon à l'école. Il avait une affinité avec les langues étrangères, ce qui ne manqua pas d'exaspérer son vieux père, et à part peut être le sport, il ne trouvait lui même peu d'intérêt à rester assit des heures à apprendre des choses qui ne lui semblaient pas très utiles. Il s'engagea très vite et finit par se noyer sous les entraînements et les formations offertes par l'armée. Sa famille disparut de son horizon de manière douce et imperceptible. Un jour, il se réveilla et se rendit compte qu'il n'avait pas parlé à ses frères et sœurs depuis plusieurs années.

Il démarra d'abord en tant que simple recrue avant que son attrait des langues ne se révèle être un avantage. Spécialisé en Russe et en Chinois, il fut transféré dans le secteur des renseignements et même si il passait, là aussi, le plus clair de son temps à rester assit, la motivation n'était plus la même. Les russes, les chinois, la menace communiste planait sur sa nation. Jack avait toujours préféré s'occuper des problèmes plus grand que lui même, il se trouvait particulièrement maladroit avec ses problèmes personnels et il semblait être un incroyable mauvais conseiller à propos de sa propre vie privée ou celle des autres. Et malgré ses compétences sociales proches du zéro, il rencontra Melissa lors d'une mission sur le continent. Ils se plurent tout de suite et il avait même l'impression qu'elle arrivait à lire dans ses pensées. Quelque chose qui l'avait déstabilisé d'abord, mais qui l'avait finalement incroyablement rassuré quand il s'était mit à effectuer des missions de reconnaissance en Europe et en Amérique du Sud. Il n'avait rien à lui dire et elle le comprenait sans avoir à poser de questions... Mais il semblait qu'il n'y ai plus rien à lire dans ses yeux. Leur relation avait commencé à se dégrader avec la naissance de leur fils et la montée en grade de Jack.

D'aucun aurait pu dire que l'arrivée de Will arrivait mal, Jack dirait plutôt que sa promotion arriva au mauvais moment. L'un dans l'autre, il avait un foyer à nourrir et l'idée de se faire envoyer encore une fois loin de tout ça ne lui plaisait pas. Et ce fut la première mauvaise décision qu'il prit. Il décida de monter en grade pour rester à un endroit fixe et êtres plus là, mais Melissa crut soudainement qu'il préférait travailler plutôt que de s'occuper de son fils. Si Jack était quelqu'un d'assez combatif sur le terrain et qu'il terrifiait assez rapidement les nouvelles recrues, il n'avait absolument aucune volonté en privé, en particulier avec sa femme. Elle avait décidé qu'il avait abandonné sa famille pour son travail, et comme un enfant têtu, il s'était obstiné à prouver à sa femme qu'elle avait raison. En un rien de temps, son fils le détestait, sa femme était à présent son ex-femme et avant qu'il ne s'en rende totalement compte, ses amis se comptaient sur les doigts de la main.

Un autre soir, toujours dans le même salon, seulement aujourd'hui, il venait de recevoir un coup de fil. A présent, il n'aurait pas seulement des nouvelles de son fils par téléphone ou internet, il venait carrément habiter chez lui. Son retour précipité d'Irak, sa blessure, lui avait compressé la poitrine comme si il s'était lui même prit ces balles, mais il n'en avait rien montré car il ne savait pas vraiment comment le faire. Il était resté distant, sobre et calme comme à son habitude et il n'avait pas très bien comprit quand son ex-femme lui avait dit que les médecins lui avaient conseillé d'habiter avec son vieux père. Des centaines de questions envahissaient littéralement sa tête : que lui apporterait-il ? Qu'est ce que ça allait lui faire de voir tout ces soldats partir au boulot ? Comment arriveraient-ils à cohabiter après tant de temps passé loin l'un de l'autre ? Heureux, inquiet, en colère contre lui même et même contre son fils, il sentait qu'il n'aurait plus une seule soirée de tranquillité avant longtemps...