Les paupières lourdes, les yeux gonflés, le jeune homme tentait peinement d'ouvrir les yeux. Le réveil ayant un effet sur lui comparable à celui d'un vrai coup de massue. Tel un nouveau né voyant pour la première fois, sa vision était trouble et c'était à peine s'il pouvait distinguer les formes se profilant devant lui. Objet ou personne ? Il ne saurait faire la différence. Petit à petit, l'infirme commençait à retrouver ses sens, se rendant soudain compte qu'un
bip, bip insupportable raisonnait dans la pièce, lui donnant un mal de crane insoutenable. La reconnaissance des sens ne faisant que se poursuivre, lui infligeant à chaque coup un peu plus de douleur, lui vint alors un gout de plastique dans la bouche et presque instantanément, il senti cet espèce de tube qui traversait sa trachée. Instinctivement, l'envie de recracher cet objet extérieur à son corps le prit et il s'agita. Le
bip, bip s'amplifia et ces quelques secondes semblaient lui paraitre des heures tandis qu'il prenait conscience des douleurs multiples lui parcourant le corps tout entier. Si une douleur à la poitrine se présentait, une autre au genou se manifestait. Perdu et désemparé, le patient lâcha prise. Au même moment, un médecin finit par entrer dans la chambre de soins intensifs. Surement le rassurait-il mais le jeune homme n'en comprenait pas un mot, les sons restant tout aussi flous que sa vue. Il sentit qu'on tentait de le calmer et de le maintenir stable. Une nouvelle douleur vint s'ajouter à la liste infinie des précédentes à l'instant où on lui enleva le tube de respiration de la gorge. Ce simple geste, il le ressentait comme une lame de couteau qui le déchirait de l'intérieur. Fini de suffoquer. Peu à peu, le patient retrouva son calme, malgré son envie de se tordre de douleur.
28 août 2013 ; 16h32 5 amis, 2 planches de surf, 5 tenues de plage, des tongues aux pieds, un frigo box plein à craquer, quelques bières plongées dans de la glace, le sourire aux lèvres et une voiture. Le week-end ne faisait que commencer et déjà les cinq jeunes avaient de grands projets. Finalement en perm ou en congé après une semaine de dur labeur, tous n’avaient plus qu’une idée en tête : oublier tout ça et retrouver leur âme d’enfant ou d’adolescent. Ne faire attention à rien d’autre qu’à eux et se faire plaisir. Des semaines qu’ils voulaient organiser ça tous ensemble, mais selon les emplois du temps de chacun, ce n’était pas chose aisée que de trouver une date qui convenait à tout le monde. L’idée avait germée dans la tête de Dean et Matthew, qui proposa immédiatement cette opportunité à son amie Shaynah. Elle et lui ne se connaissaient que depuis quatre à cinq mois tout au plus mais cette fille était vivante et toujours partante pour tout. Elle avait très vite rejoint la petite bande, s’y intégrant parfaitement. C’était donc sans surprise qu’elle avait accepté la virée à la plage sans poser de question. Pour que la bande soit au complet, le jeune homme avait appelé son cousin, Aymeric qui, bien évidemment, demanda à ce que la petite Noemy puisse les accompagner, ce qui ne les dérangea pas du tout, après tout, elle avait fait son temps aussi, et faisait aussi partie de la petite bande. Vendredi, fin d’après-midi, Matthew empaquette les dernières affaires dans le coffre de son 4x4. Comme toujours, c’est Shay qui traine dans la cuisine, prétextant de finir le verre qu’elle s’était servie
« C’est bon, on peut y aller maintenant ? » la taquina Matt. Elle lui répondit par une tape à l’épaule qui pour lui ressemblait plus à un effleurement qu’autre chose.
« Quand vous aurez fini de vous chamailler tous les deux, oui, on pourra démarrer ! » rétorqua Dean qui était déjà installé sur le siège passager avant de la voiture. Lui faisant la grimace, les deux jeunes montèrent en voiture, River fit marche arrière dans son allée avant de se diriger vers l’ouest de la ville, où habitait son cousin. Arrivés devant chez lui, un coup de klaxon suffit pour signaler leur présence. L’air béa, il s’avançait vers nous, sa main accrochée à celle de Noemy
« Hé ben, vous ne vous lâchez plus tous les deux » balança Shay, du genre à dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas, même les petites remarques les plus inutiles possibles. En couple depuis un certain temps maintenant, ces deux-là étaient super minions ensemble et leur couple semblait parfait. Jamais encore ils ne les avaient vus se disputer.
« C’est partiiiiii ! » lança River les deux amis une fois installés sur leurs sièges. Ceintures bouclées, le pilote de chasse mit les gaz en direction de
Waikiki Beach tout en poussant le volume de la musique à fond.
Check up complet et bilan final. La conclusion des médecins est définitive. Bien que personne ne veuille y croire, tous doivent se rendre à l’évidence. Le patient Matthew River est amnésique, complètement. L’annonce est dure à faire mais personne ne peut échapper à la réalité. La pilule est dure à avaler. Ne plus se souvenir de qui on est, de quoi on est fait et des évènements passés qui nous ont façonnés. Toutes des relations construites avec des personnes extérieures envolées comme repoussées d’un revers de main. Tous ces visages qui viennent lui rendre visite et qui ne lui disent rien. Ces photos qu’on lui amène, ces vidéos filmées à la volée en plein milieu de soirée, toutes ces images qu’on lui envoie en pleine figure alors que la seule chose qu’il y voit, c’est un double qui semble heureux et épanoui, mais cet homme ne fait que lui ressembler extérieurement. Déchiré de l’intérieur, son simple reflet dans le miroir est un supplice. Tous ces tatouages sur son corps qui lui ne lui rappellent rien, ces significations qu’il avait voulu graver en lui tellement elle représentaient pour lui, mais aujourd’hui ce n’est qu’un simple gâchis, une peau recouverte d’encre, rien d’autre.
7 avril 1989 ; 6h07 Six heures du matin. Le réveil est dur, très dur. Encore endormi et en plein milieu de ses rêves, le petit garçon est réveillé par le bruit sourd de quelqu'un de fort qui frappe à la porte d'entrée dans leur maison. D'abord décidé à se rendormir et retourner dans les bras de Morphée, l'enfant remarque tout de même sa mère se lève et descend les escaliers à la volée. Pas habituée à ce genre de réveil elle non-plus, elle s'était précipitée, inquiète. Il faut dire que lorsque son mari est de garde, c'est à peine si elle ferme l'oeil et arrive à trouver un sommeil convenable. Entendant une petite discussion s'installer à l'étage, le petit homme se décide à se lever lui aussi. Discret, se profilant en haut de l'escalier, il voit alors sa mère fondre en larmes dans les bras de son interlocuteur. Cet homme, Matthew le reconnait bien, c'est son parrain, le meilleur ami de son père. Inquiet de voir sa mère dans cet état, il ne peut s'empêcher de glisser un léger
« Ça va maman ? ». Cette dernière relève la tête et pleurt alors encore plus, tout en faisant signe à son fils de la rejoindre pour le prendre dans ses bras. Ce matin-là, Matthew apprit la mort de son père lors d'une intervention. L'annonce était violente, inattendue et le torpillait de l'intérieur. Patrick River, pompier volontaire, homme de parole et de courage. Cet homme, son héros, bien plus qu'un modèle, son attache, son meilleur partenaire de jeu, cet homme qui passait le plus clair de son temps à jouer avec lui, le gars le plus inventif de la terre quand il s'agit de créer des histoires, un homme invincible à ses yeux. Cet homme avait disparu et jamais plus il ne le reverrait. Ce jour-là, le pâtit garçon se fit une promesse à lui-même et à son défunt père. Il passerait la majorité de son temps au plus près possible de lui. Dans le ciel. Une promesse de gamin peut-être, mais une promesse qui le guidera toute sa vie durant. Un an après la disparition de son père, sa mère décida de déménager et de retourner dans sa famille, revenir aux sources pour prendre un nouveau départ, aller de l'avant. C'est de cette façon qu'ils mirent le cap pour Honolulu.
La première question qu’il s’était posée, avant même le
« Pourquoi ? », pourquoi ça lui arrivait à lui, c’était le
« Comment » qui l’interpelait. On lui expliqua alors qu’il avait eu un grave accident de voiture après quoi il était tombé dans le coma. Un coma dans lequel il s’était plongé sept mois durant. A nouveau, la réalité était dure à assumer. En plus de lui avoir avaler sa vie entière, son passé, cet accident l’avait rayé de la vie active durant sept longs mois. D’un coup de tête, il envoya ses pensées au loin, espérant ne pas se torturer plus longtemps avec. On lui indiqua aussi que c’était lui le conducteur, mais que l’accident n’était pas de sa faute. Après avoir été heurtés par un poids lourd, la voiture avait fait plusieurs tonneaux avant que sa tête n’entre brutalement en contact avec le sol. C’est à ce moment-là qu’il perdit connaissance. Le médecin le rassura en quelques sortes en lui disant qu’il avait été le plus gravement blessé, étant le premier en ligne de mire du camion. Les autres n’avaient souffert que de fractures multiples, de bleus, d’égratignures et de chocs neurologiques. Pendant son coma, on l’avait en quelques sortes remis sur pieds en l’opérant du genou et de sa fracture ouverte aux côtes. Peu à peu, les douleurs qui parcouraient le corps de Matthew trouvèrent leur sens et certaines choses s’éclairaient. Malgré qu’il n’ait aucun souvenir d’eux, la culpabilité de l’accident commençait à lui peser sur les épaules.
28 août 2013 ; 21h47 « Mais qu'est-ce que tu fais ?! » s'exclama Matthew tandis que Dean venait de changer le poste de l'auto-radio.
« Je change, cette chanson est pourrie » rétorqua-t-il, ce qui étonna fortement le jeune homme puisque tous chantaient à tue tête dans l'abitacle sur cette chanson culte, un incontournable.
« C'est toi qui es nul ! » renvoya-t-il, tel un gamin de sept ans égoïste. D'un geste rapide, il renvoya la radio sur la station précédente et la chanson qu'il aimait tant repris son plein dans la voiture. Deans, déterminé, changea à nouveau le poste et s'en suivit un combat incessant de changement de station, Matthew se servant des commandes à son volant pour réagit au plus vite.
« Matt, ATTENTION ! » cria Noemy. Le jeune homme, surpris et saisi releva la tête vers la route et vit une énorme lumière foncer sur eux. Le choc fut brutal. Pris de face sur l'aile conductrice, le soldat se prit le camion de plein fouet. L'instant d'après, tout était confus. Matthew se trouvait face contre terre, toujours dans son siège au-dessus de lui, il pouvait voir son ami Dean, le visage ensanglanté. Résister était trop dur et l'instant d'après, le jeune homme se laissa emporter, baissant les bras, refusant de lutter contre la douleur et refermant ses paupières.
Quelques objets personnels lui avaient été restitués : son portefeuille, une montre, une bague, un badge et des plaques de militaire. Ces deux derniers objets attirèrent son attention. On pouvait y lire les inscriptions
RIVER O-3 et pour la première fois, un souvenir lui revint en tête. Instinctivement, il savait que
O-3 signifiait
Officier Capitaine. Dans les autres papiers, il trouva d’autres informations telles que sa date de naissance ou encore son adresse. Toujours rien qui ne le faisait flasher ou autre. Ce jour-là, il questionna l’infirmière, lui demandant ce qu’elle savait de lui, mais surtout ce qu’elle savait de son métier. Elle lui révéla qu’il était pilote de chasse au sein de l’armée de l’air et qu’il était même l’un des meilleurs, de quoi flatter son égo. Une fois qu’elle fut partie, l’ex soldat s’imagina à bord d’un avion de chasse et aussi étrange que cela puisse paraitre, c’était comme si il y était vraiment. Il pouvait ressentir la sensation que cela lui procurait dans le cas réel et il avait même la sensation de savoir parfaitement comment le piloter.
14 septembre 2006 ; 9h00 Neuf heures tapante. La proclamation des grades et des diplômes a commencée. Aussi volontaire et courageux de son père, c'est de son plein gré, et quelque part contre l'avis de sa mère, qu'il avait intégré les forces armées de l'air américaine. Dix-huit ans à peine lorsqu'il s'était engagé, et déjà tant d'entrain et de conviction les années précédentes. Son univers tout entier n'etait fait que d'avions. Au lieu de lire des histoires pour enfants, il analysait des schémas d'avions, des découpes, tout pouvant lui en apprendre plus sur le sujet. Il les connaissait tous, qu'il s'agisse du petit avion épandeur de fermier en passant par les boeings jusqu'à l'avion de chasse le plus pointu et à la tête de la technologie. Devenir pilote d'avion de chasse n'était plus ce qu'il désirait devenir un jour. C'était carrément devenu ce qu'il était. Bien plus qu'une vocation, c'était chaque parcelle de lui qui l'avait poussé dans ces retranchements. Sans avion il n'etait rien et il n'y avait que dans les cieux qu'il était lui-même.
« Soldat River, j'ai l'immense honneur de vous déclarer en ce jour officier de l'US air force. Bienvenue parmi nos rangs. » Se contenant, le jeune homme se retint d'exploser de joie devant son supérieur et lui rendit le geste solennel de la main portée à la rampe. Fier de lui, Matthew souriant intérieurement. Toute sa vie ou presque il avait attendu ce jour, ce statut officiel que personne ne lui enlèverait jamais. Il adressa ensuite un regard vers le ciel, tout en pensant
« C'est pour toi papa ». Le jeune homme était doué, peut-être l'un des meilleurs dans son domaine. En plus d'être un excellent pilote, il connaissait son avion par coeur et le reparait bien souvent de lui-même sans passer par la case garagiste. C'était plus qu'iné chez lui. Un vrai don cadeau du ciel.
La rééducation n’était pas facile tous les jours et tout le monde autour de lui ne cessait de lui répéter que le temps ferait son effet. Sauf que les effets du temps n’ont pas l’air d’agir sur lui, du moins c’est ce qu’il pense. Les souvenirs peinent à revenir et ses réflexes moteurs lents à se mettre en marche. Tout, absolument tout l’exaspère, sauf cette envie de toujours en savoir plus sur l’armée, les avions, etc. Si bien qu’à force d’en parler à tout le monde autour de lui et à sans cesse poser ses questions, Matthew avait fini par en exaspérer plus d’un. Si bien qu’ils avaient fini par prendre une ibitiative : le réintégrer au sein de l’armée, mais en tant qu’apprenant. S’il avait su ce qu’il avait été avant, l’officier River l’aurait pris comme un gros coup de claque en pleine figure, voire une insulte mais pour le moment, aux vues des circonstances, c’était plus que ce qu’il pouvait espérer.