Nalani est assise sur sa chaise, adossé, l'air serein mais les entrailles en feu, le regard fixe sur cet homme en costume étriqué face à elle. Une piètre qualité. Il ne doit être ni agent ni soldat de haut grade. Il ne porte pas de flingue et son assurance est feinte. Un Psy. Des lunettes sur le bout de son nez, il griffonne dans un cahier blanc posé sur l'immense bureau. La pièce est assez épurée, vitrée. Les lumières du dehors filtre à l'intérieur. Ils sont au 4ème étage. Le plus haut.

Mademoiselle Keona, comme vous devez le savoir, ceci est la dernière étape de votre changement de situation. Cet entretient personnel sera filmé, enregistré et constituera la base de votre acceptation au sein de la base en tant qu'instructrice et oratrice externe pour l'armée américiane. Je pense qu'il est inutile de vous rappelez les closes de ce contrat ...

Nalani le coupe. Je garde mon statut d'agent, je dis aurevoir au terrain, j'entraîne vos meilleurs hommes à la crytanalyse et en aucun cas je ne m'engage de manière personnelle ... C'était ce que nous avions convenu. Alors allons-y, finalisons ce qu'il doit être fait ... "avant que je ne change d'avis" avait-elle envie d'ajouter. Mais Nalani savait que les options ne se multipliaient pas devant elle. Cette opportunité était unique et l'éventuel moyen de regagner assez de forces pour un jour reprendre ses fonctions premières ... L'homme en face relève le faciès de son calepin. Sa mine est plus sévère. Nalani sait que ce n'est pas exactement ce qu'il avait envie d'entendre mais elle commençait à trouver le temps long. Cela faisait des semaines que ces foutues négociations duraient. Elle n'était pas encore certaine de dans quoi elle venait de s'embarquer mais elle désirait avancer, bouger. Que les choses se fassent et elle verrait bien. De toute façon, dire non était impossible. Dire non, c'était se retrouver dans l'incertitude, l'inactivité et dans une situation périlleuse. Celle dans laquelle l'un ou l'autre  jeune agent prendrait un malin plaisir à creuser sa vie jusqu'à la moëlle pour s'assurer qu'elle reste à croupir aussi loin de la CIA que possible. Le milieu était cruel, les places chères et pour rien au monde Nalani ne voulait abandonner.

Entretient final. Sujet Nalani Keona, postulante instructeur. Début d'entretien. Veuillez déclinez nom, prénom, âge, nationalité, orientation sexuelle, adresse et lieu de naissance.

Un sourcil se lève. Sérieux ? Officialiser pour officialiser. Comme s'ils ne connaissaient déjà pas tous la réponse à ses questions. Mais bon, cela faisait partie du test. Alors Nalani jouerait les femmes patientes. Encore un peu. Elle répondrait à ses questions sans même lever le petit doigt. S'ils voulaient connaître la couleur de ses sous-vêtements, ils le sauraient. Elle avait connu bien pire. Non elle ne craquerait pas. Toujours aussi impassible, Nalani se lança : Nalani Keona, 34 ans, de nationalité Hawaiienne, pure souche. Née à Honolulu et à nouveau résidente de l'île. Père pêcheur, mère décédée, deux frères dans l'industrie de l'art et du sport. Le dernier détail est plus personnel. Jamais il ne lui avait été demandé de s'exprimer à ce sujet par le passé. Mais elle connaît certaines réputation de l'armée. Il reste dans ce microcosme fermés, quelques esprit réfractaire à une certaine évolution des moeurs. Tant pis. Nalani n'a rien à caché et surtout ... sait se défendre ! " Bisexuelle ... assumée " Le psy se racle la gorge, lève un oeil vers elle rapidement, ne répond pas et continue.

Nous avons besoin de savoir si vos conquêtes passées pourraient être un éventuel obstacle à votre nouveau poste. Veuillez déclinez vos diverses relations dans le détails

Nalani replace une mèche de cheveux derrière son oreille, toujours aussi droite. Je n'ai rien à déclarer et vous, rien à craindre de ce côté là. Je l'ai dis, je n'ai nulle intention de m'investir personnellement sur cette base. Notre collaboration se veut professionnelle et le sera. Elle se replonge dans un certain passé, évoque l'une ou l'autre histoire sans importance, et explique : Je ne suis pas le genre de femme à m'engager. Je n'ai jamais été mariée ou fiancée. Je n'ai pas d'enfant et ne pense pas pouvoir un jour construire une telle image de famille. Mon job est l'amant le plus fidèle qu'il m'ait été donné de rencontrer. Nalani a le regard étrangement intense, balayant le sol une seconde. Cette question la touche, l'air de rien, et cela se voit. Car elle se sait un peu hors norme, et que quelque part, elle doit probablement fuir certaines peurs ou certains démons. Mais son choix lui convenait. Nalani était douée pour ce qu'elle faisait et comptait sur ses frères pour apporter les petits enfants que son père attendait tant ...  

Que représente l'armée à vos yeux ?

Nalani lève un instant les yeux au ciel. Elle réfléchit, cherche les mots. Car après tout, la question est bonne. Assez banale et convenue étant donné le poste qu'elle convoitait mais étrangement, elle ne s'était jamais véritablement posé la question en ce sens. Qu'il y avait-il a répondre ? Elle hausse les épaules et joue cartes sur table : " Et bien disons honnêtement que je n'y ai jamais réfléchit. Je suis agent à la CIA, alors l'armée ... ça fait souvent partie de l'équation. Un point c'est tout. Enfin ça dépend des missions. Mais d'un côté ou de l'autre de telle ou telle organisation je pense que nous agissons tous en un même sens, celui de protection de notre pays. Bien évidemment tout le monde savait qu'il y avait plus. Les USA avait le chic pour mettre le nez dans les affaires mondiales qu'ils y soient invités ou non mais cela ne relevait pas de cet entretien. Elle poursuit. Ma formation n'a jamais été proche de l'armée, j'ai longtemps travailler sans jamais côtoyer un seul soldat et je ne connaissais de cet univers que les seules images passant au JT de 20 heures. Mais mon parcours et mes missions ont évolué. J'ai été envoyée en terrain ennemi et j'ai collaborer de près avec vos troupes les plus actives à l'étranger. En fait ... si je suis là aujourd'hui, c'est aussi grâce aux forces armées. Cette dernière phrase a du mal à passer, la prononcer est un peu plus douloureux. Car elle se rappelle, revoit les images. De son sauvetage mais surtout des jours le précédent, de l'horreur, de la douleur, physique et morale. Nalani redresse le menton, se racle la gorge et se passe une main dans les cheveux.

Et bien d'ailleurs, puisque vous soulevez cet ... "épisode" : Dans quel état d'esprit vous trouvez-vous actuellement ? Vous venez de vivre une épreuve singulière ... Pouvez-vous m'en parler ? Vous sentez-vous prête à retravailler ?

Cela l'étonnait que le sujet ne soit pas venu sur le tapis plus tôt. Elle avait presque fini par espéré qu'elle n'aurait pas à en parler, qu'elle n'aurait pas à revivre tout ça. Son visage, lisse et contrôlé, tente de garder son uniformité alors que dans son regard passe une claire lueur de peine et de peur. Je ... suis forte ! Je suis debout. Vivante et je refuse que l'emprunte de quelques uns ne marque ma vie à jamais. Jamais je n'oublierais mais j'espère pouvoir faire de cette horrible page de ma vie, une force future à toute épreuve. Il est trop tôt pour que je regagne le terrain mais mes compétences sont indéniables. Il serait fou de ne pas profiter de mon savoir, de ce que j'ai a apporter. Je suis excellente dans mon domaine. J'ai mille et un défaut mais pas celui là. Je suis un atout. Pour vous, vos hommes, votre institution, ... Le discours est rôdé, assuré. Nalani bloque avec véhémence les images se bousculant dans sa tête. Celles des coups, des tortures diverses, des sévices. Elle revoit les visages de ses bourreaux, entend leur voix. Elle se sent mal mais garde la tête haute. Une goutte de sueur perle dans son cou. Ses mains tremblent. Elle vient alors les coincer entre ses deux jambes croisées et prie pour que personne ne remarque son état de fragilité clairement encore présent. On parle de stress post-traumatique, elle les appelle juste ses démons. Des démons qu'elle finirait bien par dompter ... un jour. Il le fallait. Oui, il le fallait vraiment ....

L'interrogatoire continue, les questions se succèdent, Nalani garde son sang froid, patiente. Lorsque vient l'heure du bilan, le psy quitte la pièce. Nalani attend une bonne demi heure de plus. Cela devient long, agaçant. Elle se lève, fait les cent pas dans la pièce vide, lorsque soudain la porte s'ouvre à nouveau. Trois hommes imposants. Cette fois leurs costumes font honneur à leur fonction. Ils possèdent des silhouettes qu'elle a bien plus l'habitude de côtoyer. Mais Nalani ne laisse rien paraître. Impassible. Le chef de la base est là, ainsi que l'avocat principal et l'officier responsable de la branche de l'enseignement. Un tas de papier est posé sur la table. C'est enfin arrivé : ce moment de signature. Un bic en argent lui est tendu. Nalani signe et paraphe. Un insigne et une carte d'autorisation personnalisée sont posés sur la table. Les siens. C'est tout de même étrange. Tout le monde se redresse. Droits. Les mains sont serrées. Le chef de base lorgne l'arme de la jeune femme, coincée dans un étui près du corps. Oh oui et ça ... je garde ! Dit elle en refermant soigneusement le bouton de son blazer sur mesure, dissimulant pour de bon le 9mm qui ne la quittait jamais.

Cette fois c'était bon ... Une nouvelle aventure était sur le point de commencer.